PAUL-TROIS-CHATEAUX (SAINT-)



Lacroix : Statistiques du département de la Drôme 1835



PAUL-TROIS-CHATEAUX (SAINT-)



PAUL-TROIS-CHATEAUX (SAINT-) (Augusta Tricastinorum, Sancti Pauli Tricastinorum civitas). - Cette ville est située au bas d'une colline, à 5 kilomètres de la grande route de Lyon à Marseille, et 29 sud-est de Montélimar. Elle est sous le 44° 21' de latitude, et le 2° 25' 15'' de longitude. Le territoire en est très varié. Gras et productif sur certains points, maigre et ingrat sur d'autres, presque stérile en bien des endroits, le sol est recouvert de cailloux roulés du côté du Rhône, tandis qu'il l'est de sables, de fragmens de silex et de pierres calcaires partout où il se rapproche des montagnes. La culture y est soignée ; elle est, pour ainsi dire, l'unique occupation des habitans. On y récolte des grains, des fourrages, des noix, des amandes, mais surtout du vin et de la soie. Avant le rigoureux hiver de 1789, les olives étaient aussi une des productions principales de cette localité et l'objet d'un commerce assez important.
C'est dans la partie orientale que se forment, par la réunion de divers ravins qui descendent des coteaux, les torrens de la Robine et des Écharavelles, si funestes par les sables dont ils couvrent les terres à chaque crue. Ils coulent d'abord de l'est à l'ouest, et traversent ensuite tout le quartier situé au couchant, en se dirigeant du nord au midi.
Le ciel de Saint-Paul est beau et le climat tempéré. Les hivers y sont, en général, assez doux. L'été y serait fort chaud, si l'atmosphère n'y était de temps en temps rafraîchie par les vents du nord, qui y soufflent avec impétuosité. L'automne y est ordinairement pluvieux. Le printemps y présente quelquefois, dans la même journée, le mélange le plus bizarre des quatre saisons de l'année.
La commune ne se compose que de son chef-lieu et de quelques maisons éparses. La population totale est de 1,982 individus. Il n'y a ni établissemens publics, ni commerce, si ce n'est quelques fabriques d'ouvraison de la soie et six foires par an.
On y remarque un ancien couvent de dominicains, où est maintenant une école normale des frères de la doctrine chrétienne, de l'institution particulière de l'abbé Fière.
Saint-Paul est bien déchu de son antique prospérité. Avant la révolution, il avait un évêque, un chapitre, une subdélégation, une judicature, et aujourd'hui il n'est pas même chef-lieu de canton. C'est le siége de la cure du canton de Pierrelatte. L'évêché existait avant l'an 300.
Sous l'empire romain, cette ville était encore plus importante que dans le moyen âge. Auguste en fit une colonie, et du nom de ce prince elle prit celui d'Augusta Tricastinorum ; elle l'a quitté dans le Vme siècle pour adopter celui de Saint-Paul, en mémoire d'un évêque qui en avait gouverné saintement l'église. C'était la capitale des Tricastins, dont le pays avait reçu une sorte de célébrité, dès l'an 153 de Rome, du long séjour qu'y fit Bellovèse, dans l'attente d'une circonstance favorable pour franchir les Alpes. Annibal y passa aussi en l'an 536 de Rome. Pline la range parmi les villes latines.
Saint-Paul avait trois portes : l'une, à l'occident, était appelée porte de la Colonne, à cause d'un monument érigé en l'honneur d'Auguste ; la seconde subsiste encore sous le nom de Fan-Jou, Fanum Jovis, à cause de quelque temple de Jupiter bâti dans le voisinage. En effet, vis-à-vis de cette porte, il existe, au dehors, un coteau autrefois couvert d'un bois épais, qui est appelé Pied-Jou, Podium Jovis. C'était sans doute sur ce coteau qu'était bâti le temple de ce dieu. On y trouve des fragmens de pavé de mosaïque en diverses couleurs. La troisième s'appelait porte des Tours, parce qu'il y avait en cet endroit trois grandes tours. Le père Anselme, dans son Histoire des Évêques de Saint-Paul, pense que ce pourrait bien être là l'origine du nom de Tricastin ; mais M. le docteur Niel n'adopte point cette étymologie (1) (1) Voyez son Mémoire sur la topographie du Tricastin, 1802. J'ai tiré de cet ouvrage, plein d'intérêt, une partie des détails dont se compose cette description de la ville de Saint-Paul.. « Il n'y a, dit-il, aucun exemple de ville qui ait tiré son nom de l'une de ses portes : elles le tiraient toutes, ou du local sur lequel elles étaient bâties, ou du nom du fondateur, ou de celui de la légion qui, la première, venait l'habiter. » Il attribue ce nom à une particularité qu'on observe sur les limites du pays, particularité dont l'antiquité remonte audelà de la fondation de la ville : ce sont trois forts ou châteaux, l'un au débouché de la vallée qui communiquait avec les Voconces, appelé Arx vallis, citadelle de la vallée, vers Saint-Restitut, sur la montagne des Archivaux ; l'autre vers la frontière des Ségalauniens, et qu'on appelle aujourd'hui Magne, Turris magna, sur le territoire de la Garde-Adhémar. Elle pouvait défendre l'entrée aux Helviens, qui habitaient la rive opposée du Rhône. Le troisième fort, tourné du côté des Cavares, était connu sous le nom de Barri (2) (2) Barri, en langage vulgaire du midi, signifie rempart, barrière, empêchement.. On remarque dans ce quartier, qui dépend de la commune de Bollène, les ruines d'un grand édifice dont les alentours fournissent depuis long temps des médailles en or, en argent et en bronze (3) (3) Ce monument, dont on voit les ruines tout près de l'ancien fort de Barri, remonte, à coup sûr, à une époque fort reculée ; le goût avec lequel il paraît être bâti ne dément pas celui de la belle antiquité. On croirait d'abord que ces ruines sont le mur d'une citadelle ; mais les débris de colonnes trouvés aux environs, et la position du monument dans un lieu abrité et protégé par la tour de Barri, font plutôt supposer un édifice de luxe qu'un monument de sûreté ; on peut même présumer qu'il était destiné à quelque exercice profane, à en juger par son défaut d'analogie avec les édifices religieux. Ce bâtiment devait être très vaste : la portion de mur qui existe encore a trente pas de longueur ; plus loin, à une vingtaine de pas, on en trouve, au niveau du sol, la continuation, et l'on peut en reconnaître le terme..
Il paraît probable que c'est à ces trois tours, bâties pour la sûreté des premiers habitans, que la ville doit son nom.
Saint-Paul présente encore quelques autres vestiges de sa splendeur passée. Au nord et sous les murs de l'ancien évêché, sont les débris d'un monument dont le genre et la destination restent inconnus.
Dans les maisons Marron et Pistre, près du cours, on aperçoit les restes d'un autre monument, et une portion de muraille qui porte des colonnes d'un goût exquis, le tout bâti de très grosses pierres, où l'on ne voit aucune trace de ciment ou de mortier. Contre cette muraille, on a bâti des maisons, dans les caves desquelles on découvre des mosaïques et des carrés de pierres où sont délicatement sculptées des guirlandes d'où pendent des grenades, fruit dédié au dieu Priape. On en a retiré aussi deux bas-reliefs, qui représentent l'un l'allégorie de la Force vaincue par l'Amour, et l'autre une visite de Jupiter à son fils Bacchus mis en nourrice chez Ino. Le père Anselme croit que ces vestiges sont les restes d'un cirque ; la forme cependant annoncerait plutôt un temple.
On déterre, soit dans la ville, soit dans la campagne, des statues en pierre, en marbre et en bronze. Au commencement du XVIIIme siècle, on y en a trouvé une de ce dernier métal, qui est, dans son genre, un des plus beaux morceaux de l'antiquité. Cette statue est revêtue d'une espèce de tunique d'où les bras sortent à nu, et qui descend vers le milieu des cuisses. La tunique est recouverte à son tour par une peau de loup, qui cache aussi le sommet et le derrière de la tête, et dont la queue descend jusqu'audessous du gras de jambe ; la partie moyenne de ce vêtement vient se nouer sur la poitrine. Les traits de la figure sont réguliers, nobles et imposans ; ils caractérisent la douceur et la majesté. Le bas du visage est orné d'une barbe épaisse et crépue. La partie des cuisses qui n'est point recouverte par la tunique ou la peau de loup, est nue comme les jambes ; les pieds sont chaussés avec des souliers à talon, et serrés en dehors par des boucles carrées. La statue tient dans une de ses mains, élevée à la hauteur de la tête, une cassolette où brûle de l'encens. Est-ce un attribut de la divinité, ou une offrande qu'on lui présente ?.... Elle a long temps fait partie du cabinet de M. Calvet, savant médecin d'Avignon.
Un autre objet d'antiquité, peut-être plus remarquable encore, découvert à Saint-Paul, est une agate onyx camée, gravée en relief et représentant la Pudeur fuyant l'Impudicité. Ce morceau, précieux par la grâce de la composition, la pureté et la délicatesse du dessin, a 6 lignes dans sa plus grande étendue et 4 dans la moindre. Il fut trouvé en 1770, en opérant des fouilles dans le couvent des dominicains, et offert à M. Payan père, conseiller au parlement. Il est maintenant au pouvoir de son petit-fils, M. Payan, avocat à Valence. Soumis dans le temps à l'appréciation de l'abbé Barthélemy, auteur du Voyage d'Anacharsis et conservateur du musée des médailles, il en fit la description suivante : « La Pudeur, compagne d'Astrée, indignée des outrages qu'elle reçoit parmi les hommes, abandonne brusquement leur séjour, et se retire dans le ciel avec Astrée. Voilà peut-être le sujet représenté sur cette pierre gravée. Une figure ailée détourne ses regards d'une corbeille portée par un enfant masqué. Elle fuit avec rapidité. Une femme, à ses pieds, fait de vains efforts pour la retenir. Devant cette femme est un masque. Sur un camée semblable, conservé au cabinet national des médailles, on voit un autel devant la figure ailée. La figure ailée est la Pudeur ; la femme qui veut la retenir est le Libertinage : il vient de déposer son masque ; il présente à la Pudeur et veut, en dérision, sacrifier sur son autel des objets consacrés à Priape : ce sont des gâteaux auxquels les anciens donnaient la forme des parties de la génération, mêlés avec quelques fruits, principalement des figues, et renfermés dans une corbeille. Telle est l'explication plausible, et au moins ingénieuse, que donne Winkelmann d'un monument à peu près semblable, et qu'il a publié dans ses Monumenti inediti. »
On déterre encore dans les environs de Saint-Paul des miroirs avec leur boîte à mouches. Ces instrumens de toilette sont d'un métal blanc que la rouille attaque difficilement, si l'on en juge par le peu de progrès qu'elle a faits sur ceux qu'on y trouve de nos jours. Les pavés de mosaïque y sont très communs. On y rencontre des débris d'aqueducs, des tombeaux, des urnes, des lampes sépulchrales, des instrumens de mécanique, des médailles en or, en argent et en bronze, des coupes et des soucoupes en verre et en brique, des lacrymatoires, de petites boules en verre de diverses couleurs qui servaient de joujoux aux enfans.
Les lampes sépulchrales portent généralement l'empreinte d'un cerf, en témoignage de la vénération particulière qu'on avait sans doute dans le Tricastin pour la déesse de la chasse ; d'autres représentent les obscénités les plus grossières et les plus dépravées.
M. Vincent a trouvé dans une de ses terres un monument tumulaire avec l'inscription suivante :
D M C CORMIIO SEDVLO AEMI LIA SEX FIL EXORATA VXORMRI TO OPTIMO
On a trouvé aussi à Barri une colonne en marbre grossier, sur laquelle on lit cette autre inscription :
NAEVII VALENTINVS ETLVCANVS V S L M
Augusta Tricastinorum conserva sa population et sa richesse jusque sur la fin du IIIme siècle, époque à laquelle elle fut saccagée par Crocus, roi des Vandales. Les Sarrasins achevèrent de la dévaster en 732.
Le Tricastin n'eut point de comtes particuliers. Ses évêques en eurent seuls la juridiction ; mais ils furent souvent inquiétés par les seigneurs voisins.
En 1202, la ville soutint contre Reymond, comte de Toulouse, un siége à la suite duquel l'évêque se soumit au comte, du consentement des habitans.
Les évêques n'usèrent pas toujours de l'autorité souveraine dont ils étaient alors investis selon l'esprit de l'évangile : plusieurs gouvernèrent avec une main de fer. Les habitans cherchèrent, vers l'année 1275, à profiter de l'absence de Bertrand de Clansayes, que les croisades avaient conduit au-delà des mers, pour sortir de cet état d'oppression ; mais le gouvernement républicain qu'ils organisèrent ne dura qu'un instant. L'évêque de Valence, Amédée de Roussillon, craignant que cet exemple ne trouvât des imitateurs dans ses terres, marcha avec des troupes contre les habitans du Tricastin ; il les soumit, et rétablit dans Saint-Paul le régime féodal avec toutes ses formes humiliantes et sa sévérité.
Dans le XVme siècle, les dauphins contestèrent les droits temporels des évêques de Saint-Paul, et c'est à la suite de ces débats qu'intervint avec Charles VI le traité de pariage du 26 septembre 1408.
Dans le XVIme siècle, une partie notable des habitans adopta les maximes de la réforme. Il en résulta de graves et de longs dissentimens. Les protestans finirent par s'en rendre seuls maîtres. Ils ruinèrent les églises et chassèrent les évêques et le clergé. Antoine Ducros, chanoine de Grignan, nommé à cet évêché en 1599, rétablit l'exercice du culte interrompu pendant près de 44 ans.
En 1629, cette ville fut ravagée par la peste.
Elle est ceinte de remparts, et sous la domination romaine elle s'étendait beaucoup plus au midi et à l'occident. A quelque distance au couchant de Saint-Paul, est un quartier qui conserve encore le nom de Palais.
L'ancienne église cathédrale est fort remarquable : c'est un monument d'une haute antiquité, où l'on voit le travail et l'architecture de différens âges. A côté de belles frises et de corniches d'un style qui annonce l'époque romaine, sont des constructions et des sculptures du moyen âge. On remarque à un des angles des pierres où sont sculptés quelques signes du zodiaque, et tout fait présumer que si, dans l'origine, ce ne fut pas un temple payen, l'église fut bâtie peu de temps après l'invasion des Sarrasins, et qu'on y employa les matériaux d'un édifice qui avait été consacré à l'ancien culte.
Le palais des évêques, placé sur une éminence et dans une situation agréable, a été entièrement détruit pendant la révolution ; il n'en reste que quelques ruines.
Sur la montagne de Sainte-Juste, qui domine la ville, est un ancien hermitage d'où l'on jouit de la vue la plus variée et la plus étendue. C'est au pied de cette montagne que coule la source réputée minérale dont j'ai eu occasion de parler.
Saint-Paul est la patrie de Reymond des Agiles, qui, ayant suivi l'évêque du Puy, Adhémar de Monteil, dans la première croisade, écrivit l'histoire de cette expédition jusqu'à la prise de Jérusalem.
Paul-Henri Marron, connu par son talent pour la poésie latine, par plusieurs ouvrages estimés de littérature, et ses discours comme président du consistoire et premier pasteur protestant de la capitale, appartient aussi par ses pères à la ville de Saint-Paul. Issu de Paul Marron, qui se réfugia en Hollande après la révocation de l'édit de Nantes, il vint à Paris en 1782, comme chapelain de l'ambassade de Hollande, suivit avec distinction la carrière des lettres, et à l'organisation des cultes, sous le gouvernement consulaire, il fut placé à la tête de l'église protestante de Paris. Né à Leyde le 20 avril 1754, il est mort à Paris le 31 juillet 1832. Une partie de sa famille habite encore Saint-Paul. Elle conserve avec un louable orgueil le portrait que ce célèbre pasteur lui adressa en 1810, et au bas duquel sont ces vers latins :
Sic oculos, sic ora, albescentesque capillos
Marro fero. Stirpem Delphinas Gallia, cunas
Leyda dedit, clariasque animum formare per artes.
Pars melior vitoe tibi, magna Lutetia, fluxit,
Napoleontaei nec nobile calcar honoris
Defuit, et suadâ et musis extendere famam,
Dùm studui, Christo nec inutilis esse sacerdos.
Dulcis amicitia, et tua pax, hymenoee, carentes
Prole dies, votisque favens, hygea, beate !

Paul-Henri Marron a lui-même ainsi traduit ces vers :
Tel je porte le front, les yeux,
La chevelure blanchissante.
Le Dauphiné de mes aïeux
Fut la patrie intéressante.
De Minerve illustre séjour,
Leyde ! tu m'as donné le jour,
Et par les soins d'une docte culture
Tu sus mûrir en moi les dons de la nature.
Paris m'appelle et fixe mon destin ;
J'y prends ma part de l'immense butin
Des arts, du goût, de la science ;
Et, tour-à-tour, la muse et l'éloquence
Daignent sourire à mes constans efforts.
Mais le plus puissant des ressorts,
Napoléon, de l'honneur digne arbitre,
Le fait mouvoir. Oui, je suis fier du titre
Et du ruban offerts par sa bonté.
Ministre des autels, je me sens excité
Par des succès nouveaux à signaler mon zèle,
Que le paisible hymen, que l'amitié fidèle,
Que la douce santé veillent sur mon déclin !
Je pense bien mourir sans laisser d'orphelin.

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